Avis du Conseil d'État sur le nouveau dispositif fiscal relatif à la fraude CumCum
Rappel des principes applicables :
Les opérations d'arbitrage de dividendes, communément appelées « CumCum », permettent à des investisseurs non-résidents d'éviter la retenue à la source en transférant temporairement leurs titres à des entités non soumises à cette retenue. Ces entités interposées peuvent être des résidents fiscaux français, souvent des établissements bancaires (montages « CumCum internes »), ou des non-résidents bénéficiant d'exemptions prévues par des conventions fiscales ou en raison de leur statut (montages « CumCum externes »).
L'avis du Conseil d'Etat porte sur les sujets suivants, introduits en droit interne par la Loi de finances pour 2025 :
- L'introduction de la notion de bénéficiaire effectif à l'article 119 bis du Code général des impôts (« CGI »), afin de préciser l'application de la retenue à la source sur les revenus distribués aux non-résidents.
- L'élargissement du dispositif anti-abus prévu à l'article 119 bis A du CGI. Ce dispositif considère comme revenus distribués certaines opérations de cession temporaire de titres, s'étendant désormais à tout accord ou instrument financier, y compris les instruments dérivés, ayant un effet économique similaire.
- L'ajout d'une mesure contre les « CumCum externes » à l'article 119 bis A du CGI. Cette mesure prévoit l'application, à titre conservatoire, d'une retenue à la source sur les dividendes et produits assimilés versés à des personnes établies dans des États ou territoires ayant signé avec la France une convention fiscale ne prévoyant pas cette retenue. Le bénéficiaire pourrait obtenir le remboursement de cette retenue en démontrant qu'il est le bénéficiaire effectif des revenus et que les opérations ont principalement un objet autre que l'obtention d'un avantage fiscal.
Conformément à l'article L. 112-2 du Code de justice administrative, le Gouvernement a sollicité l'avis du Conseil d'État sur l'interprétation de ces dispositions, en se concentrant sur quatre points spécifiques.
Avis du Conseil d'État du 30 janvier 2025 :
- Complémentarité entre les articles 119 bis et 119 bis A du CGI : L'interaction entre les articles 119 bis et 119 bis A du CGI est un aspect essentiel à prendre en compte. Ces deux articles se complètent pour garantir l'application correcte de la retenue à la source sur les revenus des non-résidents. Tandis que l'article 119 bis définit le cadre général de cette retenue à la source, l'article 119 bis A va plus loin en introduisant un mécanisme anti-abus permettant de requalifier certaines opérations en distribution de dividendes soumises à retenue à la source. Le Conseil d’État souligne que ces dispositifs doivent être envisagés conjointement afin d’éviter que des schémas d’évitement fiscal ne passent entre les mailles du filet. En effet, certains montages CumCum exploitent des requalifications juridiques pour contourner l’impôt, en présentant les sommes perçues sous la forme d’intérêts ou d’autres revenus financiers plutôt que sous la forme de dividendes.
- Précision sur la notion de « transfert de valeur » : Le Conseil d’État souligne que l’objectif constitutionnel de lutte contre la fraude fiscale permet d’envisager que certaines opérations ne prenant pas la forme d’un paiement direct puissent néanmoins être considérées comme un transfert de valeur, si elles correspondent véritablement à un versement de revenus imposables. Il recommande de préciser dans la loi que la notion de « transfert de valeur » englobe toutes les formes d'appropriation du dividende par le non-résident, qu'elles soient directes ou indirectes, et qu'elles résultent d'une seule opération ou d'une combinaison d'opérations. Cette clarification est nécessaire pour le Conseil d'Etat dans un objectif d'efficacité du dispositif, car les montages CumCum utilisent souvent des combinaisons complexes d'opérations.
- Impact sur les marchés réglementés de l'application de la retenue à la source : Un enjeu important concerne les opérations réalisées sur des marchés réglementés. Le Conseil d’État estime que les établissements payeurs ne peuvent être tenus d’appliquer une retenue à la source de manière préventive lorsque ceux-ci ne disposent pas d’informations sur l’identité de la contrepartie. Ainsi, la simple vente d’un contrat à terme ne justifie pas une imposition préventive. Toutefois, la retenue s'applique dès que les conditions sont réunies, notamment lorsque la transaction a été négociée de gré à gré avant d'être exécutée sur le marché réglementé, ou lorsque des indices matériels, tels qu'un prix inhabituel, suggèrent l'existence d'un montage CumCum.
- Situations dans lesquelles la banque et ses entités liées n’ont pas perçu le dividende : Le Conseil d’État s’est penché sur la question de savoir si un établissement bancaire peut être soumis à la retenue à la source lorsqu’il n’a pas directement ou indirectement perçu le dividende associé à un produit dérivé entrant dans le cadre des nouvelles règles. Il rappelle que le fait de ne plus détenir l’action au moment du versement du dividende ne suffit pas à exclure l’application de la retenue à la source. En effet, si le prix de vente du titre prend en compte la valeur du dividende à venir, il peut être considéré que la banque en a bénéficié de manière indirecte. L’analyse doit donc se faire au regard de l’ensemble des transactions liées au titre, et non uniquement à la détention au moment du paiement du dividende. L'important est d'examiner si, au moment des opérations, les conditions d'application de la retenue étaient réunies.
En conclusion, le Conseil d'État appuie les mesures proposées pour renforcer la lutte contre les montages CumCum, en insistant sur la nécessité de clarifier certaines notions et d'assurer une application efficace des dispositifs anti-abus.