March 25, 2025

L'erreur comptable délibérée et l'inscription en comptabilité de titres de participation

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Dans une décision du 12 mars 2025, le Conseil d'Etat confirme que si l'inscription initiale de titres en titres de participation constitue une erreur délibérée, la société ne peut bénéficier des effets d'une rectification de l'inscription comptable de ces titres opérée au cours d'un exercice postérieur (Conseil d'Etat, 12 mars 2025, n° 491714).

Rappel des principes applicables :

Aux termes de l'article 219-I-a quinquies du Code Général des impôts (« CGI »), la qualification de titres de participation est établie par référence à la réglementation comptable pour l'application du régime des plus-values à long terme issues de la cession de titres de participation.

Les titres de participation sont ceux dont la possession durable est estimée utile à l’activité de l’entreprise, notamment parce qu’ils permettent d’exercer une influence ou un contrôle sur la société émettrice (CE, 20 octobre 2010, n° 314247, Société Alphaprim).

Au contraire, les titres de placement (ou « TIAP » – Titres Immobilisés de l’Activité de Portefeuille) sont acquis en vue d’une revente à court ou moyen terme. Leur dépréciation est déductible immédiatement du résultat imposable, tandis que la dépréciation des titres de participation n'est déductible qu’en tant que moins-value à long terme. La qualification des titres doit être appréciée à la date d'acquisition de ceux-ci et résulte de l'intention de l'acquéreur.

Lorsqu'une entreprise a commis une erreur comptable, celle-ci peut la corriger s'il ne s'agit pas d'une erreur traduisant une décision de gestion ou d'une erreur délibérée (CE, 5 décembre 2016, n° 398859, Société Orange).

Selon le rapporteur public, l’erreur comptable délibérée ne constitue pas une erreur au sens strict, mais une décision irrégulière prise en connaissance de cause. Elle ne peut être corrigée par le contribuable, alors que l’administration fiscale est en droit d’en rectifier les effets dans le délai de reprise, sous réserve d'apporter la preuve du caractère délibéré de l'erreur. Ladite intention doit être appréciée au moment où l’inscription comptable a été réalisée.

Faits / Procédure :

En 2004, la société V a cédé l'intégralité de sa participation dans la société Y à la société G. L’opération s’est accompagnée d’un paiement en numéraire de 3,073 milliards d’euros et d’une attribution de titres de la société X valorisés à 4,929 milliards d’euros. Ces titres ont été inscrits en compte de titres de participation et consolidés selon la méthode de mise en équivalence. En 2008, la société V a reclassé ces titres en TIAP et les a cédés en 2010 et 2011 au Groupe G.

L’administration fiscale a contesté la qualification de TIAP et a rectifié le montant des déficits déclarés par le contribuable au titre des années 2008 à 2011 en remettant en cause les provisions constituées pour la dépréciation de ces titres au cours de ces exercices mais également les moins-values comptabilisées à l'occasion de la cession.

La société V a saisi le Tribunal administratif de Montreuil, qui a rejeté sa demande de rétablissement des déficits reportables. La société a interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Paris.

Décision de la Cour administrative d'appel de Paris :

La Cour administrative d'appel de Paris a d’abord considéré que les titres la société X n’étaient pas des titres de participation. Elle a relevé que si les statuts de la société X ont accordé à la société V trois des quinze sièges au conseil d'administration, ainsi que des droits de veto et d'approbation, cette dernière ne disposait toutefois que d’une participation minoritaire ne lui conférant que des droits purement défensifs, sans lui permettre d’exercer une influence déterminante sur la gestion de la société X. La Cour a également pris en compte les déclarations publiques de la société V en 2003 et 2004, dans lesquelles elle présentait cette participation comme un placement temporaire destiné à financer un désendettement rapide.

Toutefois, la Cour a validé le redressement fiscal en accueillant la demande de substitution de motifs de l'administration fiscale. En effet, l'administration demandait à ce que soit substitué au motif tiré de ce que les titres en litige constituent des titres de participation le motif tiré de ce que l'erreur commise par la société V, en qualifiant ces titres de titres de participation, a été commise délibérément, de sorte qu'elle n'était pas en droit de rectifier cette erreur ultérieurement.

L'administration soutenait que la société V maîtrisait parfaitement la législation fiscale et avait nécessairement anticipé les conséquences fiscales de son choix comptable. Or, l’entreprise n’a modifié son classement qu’en 2008, au moment où la dépréciation des titres de la société X devenait inévitable, ce qui traduisait, selon elle, une volonté d’optimisation fiscale.

Décision du Conseil d'Etat :

Dans un premier moyen, le Conseil d'Etat relève que la substitution de motifs invoquée par l'administration n'a, en l'espèce, pas privé le contribuable de la garantie qu'est celle de pouvoir porter le différend devant la Commission nationale des impôts directs. Les juges relèvent qu'un désaccord relatif au caractère délibéré d'une opération ne porte pas, par lui-même, sur le montant du résultat industriel et commercial. Or, seuls les différends portant sur ledit montant doivent pouvoir être présentés devant la Commission nationale des impôts directs.

Dans un deuxième temps, le Conseil d'Etat relève que la société V, qui se trouvait en 2003 dans une situation de fort endettement, avait fait état publiquement de sa volonté de cession. Dans ce contexte et dans une perspective de désendettement et de rentabilité, elle n'avait acquis ces titres qu'en tant que simple moyen de paiement de la cession de la société Y. Un objectif patrimonial de remboursement de sa dette résultait donc de cet accord, d'autant plus que celui-ci prévoyait la perception de dividendes trimestriels.

Les juges relèvent au surplus que la maîtrise de la législation fiscale et des implications de l'inscription comptable des titres par la société V impliquent que la comptabilisation de ces titres avait nécessairement fait l'objet d'une expertise, de sorte que l'erreur de comptabilisation ne pouvait revêtir qu'un caractère délibéré.

Ils poursuivent et indiquent qu'est sans incidence à cet égard la circonstance que la Cour administrative d'appel ait relevé que le changement de comptabilisation aurait été motivé par une dépréciation postérieure à l'inscription au bilan desdits titres, laquelle rendait plus attractive leur comptabilisation en tant que titres immobilisés de l'activité de portefeuille.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi de la société V et confirme l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris. Il valide ainsi l’analyse selon laquelle l’inscription initiale des titres la société X en titres de participation procédant d’un choix délibéré, la société ne pouvait pas bénéficier des effets d'une rectification de cette inscription comptable opérée par elle au cours d'un exercice postérieur.

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